Parole de spécialiste — 9 minutes
Anxiété et manque de sommeil, l’œuf ou la poule?
S’il est généralement reconnu que les personnes anxieuses souffrent davantage que le reste de la population de manque de sommeil, des études montrent également que la privation de sommeil pourrait entraîner des troubles anxieux, même chez ceux et celles qui n’en souffrent pas habituellement. Dans tous les cas, il apparaît évident que sommeil et anxiété sont étroitement liés.
Les anxieux dorment moins bien que les autres
La durée du sommeil dépend de chaque individu et, alors que 5 ou 6 heures sont suffisantes pour certains et certaines, 10 heures le sont parfois à peine pour d’autres. Il est donc presque sans objet de définir la qualité du sommeil en se basant uniquement sur sa durée. C’est plutôt lorsque le sommeil est régulièrement perturbé ou entrecoupé que l’on peut considérer qu’il existe un trouble du sommeil.
À ce titre, les personnes anxieuses seraient plus sujettes aux perturbations nocturnes que les autres. La Dre Hélène Bouvier, pédopsychiatre à la Clinique d’intervention sur les troubles anxieux (CITA) de l’hôpital de Rivière-des-Prairies, le confirmait lors d’une conférence en 2010 [1]. Elle a réalisé une étude en collaboration avec le Dr Roger Godbout et son équipe auprès de 19 enfants, adolescentes et adolescents anxieux, puis a comparé les résultats à un groupe équivalent de jeunes sans troubles particuliers. Les questionnaires sur les habitudes de sommeil ont démontré que les jeunes anxieux et anxieuses :
- Ne pouvaient dormir seuls et seules (95 % contre 0 %);
- Faisaient plus de cauchemars (62 % contre 38 %);
- Se plaignaient d’un sommeil insatisfaisant (56 % contre 25 %).
Comment l’anxiété agit-elle sur le sommeil?
Notre système nerveux autonome se divise en deux composantes. Le système parasympathique, responsable des états de calme et de sommeil, et le système sympathique, qui entre en fonction dans la vie active et la réponse au stress. L’anxiété entraîne, de par sa nature, de la peur, du stress et des pensées récurrentes qui activent le système sympathique et engendre parfois un stade d’hyper éveil au moment de dormir. Le Dr Pierre Mayer, directeur médical des soins du sommeil chez Biron ainsi que directeur de la clinique du sommeil de l’Hôtel-Dieu du Centre hospitalier de l’Université de Montréal, estime que « lorsque le système sympathique est activé, c’est l’équivalent pour quelqu’un d’avoir bu du café ».
On peut aussi observer ce phénomène durant le sommeil. Ainsi la fréquence cardiaque des jeunes anxieux est plus élevée durant la nuit que dans la population témoin (73,7 battements par minute contre 65,7). Cela peut créer un sommeil perturbé, plus léger, voire des phases de réveil plus ou moins brèves durant la nuit.
Le manque de sommeil peut aussi créer de l’anxiété
Une étude (novembre 2020) de l’équipe de Matthew Walker, professeur de neuroscience et de psychologie à l’Université de Californie à Berkeley, a identifié une nouvelle fonction du sommeil profond qui réorganiserait certaines connexions du cerveau et réduirait l’anxiété [2].
L’équipe de recherche a soumis 18 jeunes au visionnement de vidéos perturbantes à la suite d’une bonne nuit de sommeil et à une autre séance après privation de sommeil. Les images cérébrales ont montré que la zone qui aide à contrôler l’anxiété (cortex préfrontal médial) était déconnectée après une mauvaise nuit de sommeil. Parallèlement, les centres émotionnels plus profonds étaient, quant à eux, hyperactifs. Le professeur Walker estime ainsi que « sans sommeil, c’est presque comme si le cerveau pesait trop lourd sur la pédale d’accélérateur émotionnel, sans assez de freins ».
À l’inverse, après une bonne nuit de sommeil, les niveaux d’anxiété ont diminué chez les sujets étudiés. Il apparaît donc clairement qu’une bonne nuit de sommeil favorise la diminution du sentiment anxieux.
Des solutions pour analyser et réparer son sommeil
Les tests polysomnographiques (examens réalisés par des spécialistes qui enregistrent à l'aide de capteurs les différentes manifestations physiques pendant le sommeil) permettent de bien analyser la qualité générale du sommeil d’un sujet et d’en tirer des premiers enseignements.
Ensuite, une consultation en hygiène de sommeil ou une thérapie cognitivo-comportementale peut être envisagée. Elle consiste à traiter le trouble de sommeil et le trouble anxieux de manière séparée. Selon le Dr Mayer, « il faut traiter les deux problématiques de façon distinctes si l’on veut un résultat probant ». Dans le cas contraire, même si l’anxiété est guérie ou réduite, le trouble du sommeil peut perdurer à cause de mauvaises habitudes bien ancrées.
Associée à différentes méthodes de relaxation et de respiration, la thérapie est généralement garante d’une nette amélioration du sommeil, car « cette méthode ne fait pas juste faciliter l'endormissement, mais elle diminue aussi les réveils » souligne le Dr Mayer.
Alors, l’œuf ou la poule?
Si l’on constate une augmentation importante des troubles anxieux depuis une décennie et plus, elle va de pair avec une diminution marquée du sommeil de la population, particulièrement dans les pays industrialisés.
Variété de programmes et de vidéos accessibles en tout temps, heures reliées à l’emploi étendues grâce au télétravail, conciliation travail-famille, réseaux sociaux et téléphones cellulaires… les raisons sont nombreuses pour expliquer ce phénomène. Anxiété et manque de repos sont donc intimement liés et il convient de trouver les moyens d’améliorer son sommeil pour réduire son anxiété. Il s’agit en fait d’un cercle vicieux dans lequel l’anxiété crée de l’insomnie qui à son tour exacerbe les troubles anxieux. Il est donc important d’en être conscient afin de réussir à briser ce cycle.
Comme le dit le professeur Walker, « le meilleur pont entre le désespoir et l’espoir est une bonne nuit de sommeil. »
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Sources2
- Hôpital Rivière-des-Prairies. (2010). Le sommeil ce n’est pas très reposant pour les anxieux. Inter-Mission, vol. 9 no 6, p. 20-21. https://fondationsommeil.com/wp-content/uploads/2014/02/Le_sommeil_nest_pas_reposant.pdf
- Psychomédia. (2019, 8 novembre). La tendance à l’anxiété est fortement influencée par le sommeil profond. http://www.psychomedia.qc.ca/psychologie/2019-11-08/anxiete-sommeil-profond