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Parole de spécialiste — 22 minutes

Le jeûne et les tests de laboratoire

Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Vulgarisateur scientifique

L’obligation de jeûner avant un prélèvement sanguin pour des analyses de laboratoire date probablement de la création des tout premiers laboratoires médicaux. Il est bien connu que la prise récente d’aliments modifie temporairement les résultats de plusieurs tests de biochimie, soit à la hausse (glucose, insuline, triglycérides, acide folique, fer sérique, etc.), soit à la baisse (phosphore). En plus de modifier le taux de certaines substances, les échantillons sanguins prélevés chez le patient non à jeun ont longtemps brouillé les résultats de plusieurs autres techniques de laboratoire. Pour toutes ces raisons, les laboratoires ont défini des conditions universelles de jeûne, applicables à tous, peu importe le ou les tests prescrits, parce que des conditions universelles sont plus faciles à définir et à appliquer.

L’obligation de jeûne est maintenant rare

L’introduction de nouveaux tests comme l’hémoglobine glyquée (HbA1c) pour le diagnostic et le suivi du diabète et l’amélioration continue des techniques d’analyse viennent changer la donne : les situations où le jeûne est incontournable sont désormais rares! De nos jours, les conditions à respecter sont indiquées pour chaque test de laboratoire et précisent ceux qui exigent un jeûne et la durée de ce dernier.

Imposer un jeûne inutile peut même nuire à certains patients. À cause du jeûne, les centres de prélèvement sont encombrés en début de matinée, et des patients de tous âges se voient souvent refuser un prélèvement parce qu’il manque quelques minutes à un jeûne de 12 heures qui n’était probablement même pas nécessaire. Des individus vont mentir sur l’heure du dernier repas (parfois avec la complicité de leur médecin traitant) pour éviter de devoir revenir. Certains patients diabétiques voient leur programme de repas/prise de médicaments ou d’injections d’insuline chamboulé par ces restrictions de jeûne.

Évolution des tests assortis d’une consigne de jeûne

Traditionnellement, ces tests étaient pratiquement toujours assortis d’une consigne de jeûne. Certaines de ces consignes ne sont aujourd’hui plus justifiées.

Le bilan lipidique : jeûne révoqué

Le jeûne obligatoire de 12 heures avec abstention d’alcool pendant 24 heures et plus a longtemps constitué une condition incontournable du prélèvement pour le bilan lipidique. Pourtant, ce n’est plus le cas, comme en font foi les dernières recommandations des sociétés savantes, tant européennes que nord-américaines [1].

Il y a de nombreuses raisons d’abandonner la consigne de jeûne pour la majorité des individus. Essentiellement, c’est que la prise d’aliments n’a pas d’influence significative sur les mesures du cholestérol total, du cholestérol HDL (bon cholestérol) et du cholestérol non HDL (nouvelle mesure du mauvais cholestérol). Il est bien connu que l’autre mesure du mauvais cholestérol (cholestérol LDL), utilisée pendant des années comme cible du traitement avec les statines, peut être légèrement affectée à la baisse lorsque les taux de triglycérides sont trop élevés (> 4,0 mmol/L). On sait maintenant que la portion du cholestérol appelée « non-HDL » constitue un bien meilleur indicateur du mauvais cholestérol que celle du cholestérol-LDL, parce qu’elle englobe l’ensemble plutôt qu’une simple partie des molécules causant l’athérosclérose. La mesure de la part de cholestérol non-HDL présente en outre le grand avantage de ne pas être influencée par la prise récente d’aliments ou d’alcool.

Les triglycérides : jeûne rarement obligatoire

L’influence de la prise d’aliments et d’alcool sur le taux des triglycérides demeure; c’est une réalité biologique incontournable, pas une interférence de dosage. Mais cette information (un taux de triglycérides élevé après un repas) est utile, voire irremplaçable dans certaines situations. Chez un grand nombre de personnes, les taux de triglycérides sont en effet normaux à jeun, mais au-dessus de la normale pendant plusieurs heures après un repas. Or, plusieurs études de très haute qualité révèlent qu’indépendamment d’un taux de cholestérol normal, les personnes présentant un taux de triglycérides élevé après un repas sont significativement plus à risque de développer une maladie cardiovasculaire que celles dont le taux de triglycérides demeure normal après la prise d’aliments. L’augmentation du risque est facile à calculer : elle équivaut à peu près au taux de triglycérides mesuré. Un taux de triglycérides non à jeun de 2,5 mmol/L correspond grosso modo à un risque 2,5 fois plus élevé de maladie cardiovasculaire, alors qu’un taux de 4,5 mmol/L correspond à un risque de 4 à 5 fois plus élevé de développer ces mêmes maladies [2]. Cette information nous manque chez le patient qui est soumis à un dosage souvent annuel de triglycérides après avoir exceptionnellement jeûné pendant 12 heures. Même chose pour les patients qui consomment de l’alcool tous les jours de l’année (ou presque) et qui s’abstiennent très exceptionnellement pendant 24 ou 48 heures, une seule fois dans l’année, avant le prélèvement pour un bilan lipidique. La consigne de jeûne demeure cependant pour le suivi des personnes qui présentent un taux de triglycérides à jeun plus élevé que 4,5 mmol/L.

Le glucose : jeûne pas toujours nécessaire

Le dépistage du diabète par le taux de glucose sanguin (glycémie) est évidemment l’autre incontournable du jeûne obligatoire avant un prélèvement. Compte tenu de l’augmentation importante du nombre de patients diabétiques de type 2 partout dans le monde et de la gravité des conséquences à long terme de cette maladie chronique traitable, il est recommandé d’effectuer un test précoce de dépistage du diabète chez les personnes à risque. Les critères de diagnostic ont cependant évolué au fil des ans. Au critère d’un taux de glucose à jeun ou à celui d’un taux de glucose 2 heures post-charge en glucose s’est ajouté plus récemment celui de l’hémoglobine glyquée (HbA1c). L’HbA1c reflète en effet la moyenne des taux de glucose pendant les 4 à 6 semaines précédant le prélèvement et constitue donc un très bon indicateur du diabète. Pendant longtemps, la mesure du taux d’HbA1c a été réservée au suivi des patients diabétiques à des fins d’ajustement du traitement. Les recommandations de la plupart des sociétés savantes intéressées au diabète proposent aujourd’hui de se baser non pas sur les trois indicateurs à la fois, mais soit sur le taux d’HbA1c, soit sur le taux de glucose à jeun, soit sur le taux de glucose 2 heures post-charge. Si les sociétés savantes mettent le glucose à jeun, le glucose 2 heures post-charge et l’HbA1c sur un pied d’égalité comme tests de prédilection pour le dépistage – en particulier pour le diabète de type 2 –, elles ne tiennent pas compte du fait que, contrairement aux deux autres, la mesure de l’HbA1c ne nécessite pas de jeûne. Opter pour l’HbA1c chez le patient non à jeun ne constitue pas une nuisance : au contraire, si nous facilitons la compliance au test, un plus grand nombre de patients pourront participer aux efforts de dépistage. Et si nous combinons ce test avec un bilan lipidique non à jeun prélevé en même temps, nous faisons coup double pour la détection de deux maladies parmi les plus prévalentes dans le monde occidental.

Le choix de l’HbA1c semble présenter un avantage intéressant pour le diagnostic du prédiabète, cette zone grise de glycémie entre un résultat franchement normal et un résultat franchement diabétique. Comme le taux d’HbA1c est en relation avec la moyenne des taux de glucose pendant plusieurs semaines, 24 heures par jour (y compris des repas, des épisodes de stress, etc.), l’information fournie par l’HbA1c est beaucoup plus solide, et la littérature scientifique indique une relation plus étroite entre les taux d’HbA1c et les effets à long terme du diabète qu’entre ces derniers et le taux de glucose à jeun [3].

Encore une fois, le nombre de patients chez qui une mesure de la glycémie à jeun (après un jeûne de 8 heures et non de 12 heures) est indiquée est relativement faible. L’obligation de jeûne pour tous pourrait être remplacée par des instructions particulières du médecin traitant, bien au fait de la littérature.

Les autres tests

D’autres tests comme la mesure des taux d’acide folique sérique sont également affectés par la prise d’aliments ou de suppléments vitaminiques. Toutefois, le dosage de l’acide folique est maintenant considéré comme inutile et a déjà été rayé de la liste des tests offerts dans un grand nombre de laboratoires hospitaliers. Lorsqu’un rare déficit en acide folique est cliniquement suspecté, c’est le dosage de l’acide folique dans les globules rouges qui doit être vérifié, un dosage qui, lui, n’est pas affecté par la prise d’aliments.

Quant aux autres tests, comme ceux du calcium, du phosphore, de la créatinine et du sodium, etc., il n’y a qu’à constater la grande variation des périodes de jeûne imposées par les divers laboratoires pour réaliser que ces restrictions ne sont pas basées sur des données probantes. Difficile de justifier l’imposition d’un jeûne de 12 heures à l’hôpital A alors que l’hôpital B n’en requiert aucun!

Vers de moins en moins de restrictions de jeûne

En conclusion, de grandes études cliniques (méta-analyses) confirment que les restrictions de jeûne n’ont pas à être universelles vu l’amélioration des techniques de dosage, l’apparition de nouveaux indicateurs cliniques et la disparition d’autres. Le jeûne, comme toute autre condition particulière de prélèvement, devrait être réservé au petit nombre de patients chez qui cette indication demeure essentielle. Seul le professionnel de la santé connaît le problème médical de son patient : c’est donc à lui que revient la responsabilité de spécifier le petit nombre de cas où des conditions de prélèvement plus strictes doivent s’appliquer.

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Sources3
  1. Anderson, T.J., Grégoire, J., Pearson, G.J. et coll (2016). 2016 Canadian Cardiovascular Society Guidelines for the Management of Dyslipidemia for the Prevention of Cardiovascular Disease in the Adult. Canadian Journal of Cardiology; 32, 1263-82.
  2. Langsted, A. et Nordestgaard, B.G. (2015). Nonfasting Lipid Profiles: The Way of the Future. Clinical Chemistry; 61(9), 1123-5.
  3. Selvin, E., Steffes, M.W., Zhu, H., Matsushita, K. et coll (2010). Glycated hemoglobin, diabetes, and cardiovascular risk in nondiabetic adults. The New England Journal of Medicine; 362(9), 800-11.
Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Vulgarisateur scientifique
Pendant une cinquantaine d’années, Raymond Lepage a agi comme biochimiste clinique responsable de laboratoires tant publics que privés. Professeur agrégé de clinique à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et professeur associé à l’Université de Sherbrooke, il a également été consultant, chercheur, expert juriste et conférencier. Auteur ou coauteur de plus de 100 publications parues dans des congrès et des revues scientifiques, il consacre désormais une partie de sa semi-retraite à la vulgarisation scientifique.